“L’improvisation ne s’improvise pas” un livre de Alain Knapp

Alain Knapp

Alain Knapp a, parmi de nombreuses autres activités, enseigné à l’ENSATT durant plusieurs années. 

Nous le remercions pour cet échange suite à la sortie de son dernier ouvrage “L’improvisation, ne s’improvise pas” chez Actes Sud.

Improviser semble accessible et enfantin. Pourquoi est-ce important de suivre un processus ?

Improviser semble accessible et enfantin dans la mesure où en effet toute personne a, dans son enfance, joué à « être quelqu’un d’autre ». Le processus d’identification permet la construction de la personnalité de l’enfant. Les jeux de rôles font partie de son appropriation du monde. Une théâtralité primitive existe en chacun de nous. J’en reste à ce constat simple car la psychanalyse a déjà beaucoup développé le sujet.

Ce qu’il est important de comprendre, c’est ce besoin initial d’être je et un autre, de se construire dans un autre fictif.

L’improvisation semble aller de soi puisqu’elle ne requiert a priori aucune technique particulière. Chaque personne se déplace, parle et à première vue on n’en demande pas davantage lorsqu’il s’agit d’improviser. Dans les jeux de l’enfance, il y a un plaisir du déguisement, d’affirmation du moi à travers des personnages qu’à l’âge adulte certains chercheront à retrouver.

Les vocations au théâtre sont souvent fondées sur cette quête du paradis perdu et c’est là que commencent les problèmes. Comment faire comprendre que ce qui semble a priori  naturel, aller de soi est en réalité beaucoup plus complexe. On peut en rester à un jeu primitif. C’est le cas de la plupart des improvisations. On peut aussi considérer que l’improvisation est originellement le théâtre et qu’elle le contient tout entier. On quitte alors le domaine d’un jeu identitaire à tendance narcissique pour entrer dans celui de l’art.

La plupart des improvisations relèvent au mieux de l’art brut avec de réelles trouvailles ici et là mais n’atteignent quasiment jamais à l’art, c’est-à-dire  à l’esthétique, à une certaine maîtrise de la forme et du contenu. On veut tout de suite « jouer », sans repères, sans points d’appui intérieurs. Rien. Le jeu pour le jeu. Et bien entendu cela ne marche pas.

L’art ne se donne pas au premier venu d’un claquement de doigts. Une démarche est nécessaire, l’acquisition de connaissances est indispensable. Tout art a ses « techniques » et il convient d’en assimiler intimement la nécessité car loin d’être des contraintes, elles libèrent l’expression artistique. 

En quoi la contrainte permet-elle d’être plus créatif ?

La démarche que je propose est fondée sur un principe simple : à l’origine de la création il y a une contrainte, une difficulté à résoudre.

Les grandes découvertes naissent de cette nécessité de trouver des réponses à quelque chose qui échappe. Donc mes exercices posent des contraintes simples mais c’est dans les réponses apportées qu’on peut mesurer la juste compréhension ou non de l’exercice.

D’emblée beaucoup combinent, trouvent des solutions bâclées, bricolent des petits arrangements. Dans mon livre, je donne l’exemple d’une personne qui se rend chez une autre et trouve porte close. Elle sonne à plusieurs reprises, frappe, décidément il n’y a personne. Où est la contrainte ? La personne avait l’intention de se rendre chez une autre et pensait la trouver chez elle. A partir de là commence le jeu. Et s’ouvrent toutes les conditions qui vont lui permettre de se développer. Si le participant à l’exercice se contente de sonner, frapper, constater qu’il n’y a personne et partir, l’exercice n’a aucun sens. La porte restera irrémédiablement fermée. La situation acceptée, que fait-il ? Il peut fracasser la porte, solution abrupte. Il peut aussi explorer toutes les conditions de la circonstance : où se trouve cette porte, quand se passe l’action et compte tenu déjà de ces deux facteurs, il découvrira ce qu’il fait devant cette porte, qui il est et qui il allait rencontrer. C’est ce que j’appelle la scrutation des données. Pour l’essentiel, nous avons déjà là les bases d’une dramaturgie. 

C’est quoi être créatif sur un plateau pour vous ? Quelles sont les conditions indispensables pour y arriver ?

L’enseignement de l’improvisation tel que je le conçois pourrait sans doute développer davantage la personnalité créatrice des comédiennes et des comédiens mais cela supposerait qu’on lui accorde une place plus importante dans la formation de nos écoles. Or, que fait-on ? La plupart du temps le professeur transmet son expérience d’interprète du répertoire. En définitive, c’est sa personnalité plus ou moins forte qui fait la différence.

Si nous partions de l’hypothèse d’une école de l’acteur-créateur, les étudiantes et les étudiants seraient d’emblée mis en situation d’inventer l’espace, les échanges entre partenaires, les gestes, les dialogues, bref de produire du théâtre. Et du coup les questionnements seraient différents. Chacun, chacune vivant à son niveau l’expérience théâtrale dans sa création, le rapport au répertoire serait autre.

Par exemple pour les dialogues, cet apprentissage déboucherait sur une perception beaucoup plus fine de la parole théâtrale qui n’a que l’apparence de la vie quotidienne.  Qu’est-ce que la spécificité d’un dialogue ? Entendons-nous bien, les étudiantes et les étudiants ne deviendraient pas des Molière, des Brecht ou des Shakespeare mais ils vivraient l’expérience intime de la création théâtrale.

Ce qui manque terriblement aujourd’hui, c’est la notion de jeu. Le théâtre est un jeu. D’abord cela, un jeu. Mais un jeu exigeant qui devrait engager toutes les ressources de l’être. Or, l’acteur est de plus en plus confiné dans un registre limité et trop souvent subi. Et s’il subit c’est parce qu’il ne possède pas les moyens d’affirmer sa personnalité créatrice. Quand on le met en situation d’inventer de la parole et du mouvement, son expressivité oscille entre le banal et l’extravagant.

Encore une fois et il faut insister là-dessus, cela ne tient pas à sa personnalité mais à son manque de formation. Où aller puiser les ressources personnelles et collectives pour improviser ? C’est bien là qu’une formation, et pas n’importe laquelle cependant, s’impose.

Votre méthode est un moyen d’éviter le mimétisme, de copier ce qui a déjà été fait ?

Votre question me permet de préciser ce que j’entends par formation à l’improvisation. Ma démarche ne propose aucun modèle. Elle est faite d’un certain nombre d’exercices très concrets que chaque personne peut s’approprier afin de construire son propre chemin en création. Appelons cela l’éveil de la personnalité créatrice. L’exercice de la porte dont je parle plus haut produira des réponses aussi diverses qu’il y aura de participants. Ne nous trompons pas, si je parle de qualité d’expression personnelle c’est parce qu’il ne peut y avoir d’échange collectif réussi sans que l’investissement artistique de chacun, chacune dans le jeu n’ait atteint un certain niveau. Le groupe en soi n’est pas porteur de création. Comme dans le sport la réussite d’une équipe tient à la compétence de chaque joueur. 

Créer nécessite un combat constant contre les idées reçues, les stéréotypes, les clichés de toutes sortes. Pour autant rechercher l’originalité n’est en rien une réponse. La singularité vient du fait même que les personnalités sont différentes dans leur perception du monde et dans la traduction qu’elles en font sur scène.

La meilleure réponse à la quête frénétique d’originalité se trouve chez Tchekhov, dans « La Mouette », quand Treplev, épuisé par la vaine recherche de formes nouvelles finit par dire :

« …je suis de plus en plus convaincu qu’il ne s’agit pas de formes anciennes ou nouvelles, mais simplement de ce qui vous coule librement du cœur sans penser à une forme ou à une autre.»

Savez-vous à quel point votre démarche est utilisée par des professeurs de théâtre et des metteurs en scène ?

Je sais que mes deux livres circulent et qu’ils suscitent la curiosité de personnes très diverses. Et cela me réjouit et me conforte dans l’idée que mes lecteurs, lectrices s’approprient personnellement mes exercices et que selon la dynamique de leur travail, ils en inventent d’autres. J’imagine qu’ils  en font leur affaire selon qu’ils sont comédiens, animateurs, enseignants, psychothérapeutes etc.. Et c’est bien ainsi. Mon propre cheminement fait de réflexions et de pratiques multiples m’a amené à écrire ces livres. Maintenant servez-vous !

Actes Sud